lundi 3 septembre 2012

Sous le plus grand chapiteau du monde

Ce matin, Franck est arrivé à l'entraînement avec un grand sac de sport floqué "LNR". Il l'a posé par terre, l'a ouvert et s'est mis à donner consciencieusement aux joueurs, en lieu et place des chasubles habituelles, des tutus roses et des déguisements.
Comme je n'étais pas de (trop) mauvaise humeur ce lundi (c'est pas tous les week ends qu'on passe cinquante pions à l'USAP), je l'ai pris sur le ton de la blague :
- Eh ben, Franck, que se passe-t-il ? C'est Mardi Gras ?
Alors que les joueurs, mi-incrédules, mi-amusés, étaient en train de plaisanter sur leurs tenues respectives, Franck, lui, n'avait pas l'air de rigoler :
- C'est la Ligue. J'applique les consignes.
Et il a continué silencieusement, le visage fermé, sa distribution. J'avoue que je commençais à trouver cela vraiment drôle, surtout quand j'ai vu Elvis en bavaroise avec des couettes blondes. Il faisait la belle et chauffait Morgan en lui demandant s'il voulait de sa Schnitzel... Sacré Elvis, toujours le mot pour rire... Morgan a commencé à lui tirer les cheveux et à lui arracher sa culotte de peau. Franck ne le voyait pas de cet oeil et il s'est mis à gueuler dans le vestiaire :
- OH ! Ça va bien les gars !  Je vous préviens tout de suite que vous n'avez pas intérêt à abimer vos nouvelles tenues de travail !
Comme il avait décidément l'air très sérieux, je l'ai entraîné avec moi à l'extérieur pour quelques explications.
- Je te l'ai dit, Vern, nouvelles consignes de la Ligue ! Le rugby est un spectacle. Donc il faut que les mecs rentrent avec un nez rouge sur le terrain et que le public en ait pour son argent. D'un autre côté, 270% d'augmentation du prix de l'abonnement à la tribune Auvergne depuis 1999, je comprends que les gens deviennent exigeants...
- OK, Franck. Je comprends l'idée... Mais bon, maintenant, la plaisanterie a fait long feu...
- Au contraire, Vern, au contraire, elle ne fait que commencer : je vais faire ajouter une "UV métiers du cirque et des arts de la rue" au programme du centre de formation : ce serait sympa que les joueurs entrent sur la pelouse en faisant tourner des assiettes sur des bâtons, debout sur des éléphants. J'avais pensé aussi à un spectacle de chiens savants qui sauteraient par-dessus des ballons et des plots...
Il s'interrompit, pensif, puis reprit :
- Bien sûr, on n'aura jamais les moyens du Stade Français, mais j'avais pensé qu'une ou deux effeuilleuses... l'été, naturellement... pourraient chauffer l'ambiance avant les matches... Non parce que tu vois, Vern, la "Petite Mêlée", ça suffit plus...
Songeur à nouveau, puis le visage s'éclairant :
- Peut être que Jamie pourrait rentrer sur le terrain en Harley et insulter le public comme dans les "Super Stars du catch" ?
Moi, ironique :
- Ouais, ou bien les joueurs animeraient un show de Chipendales à la mi-temps ?
Lui, plus premier degré que jamais :
- Ah ouais ! Pas con ! J'y avais pas pensé ! Je vais de ce pas en parler à Jean-Marc...

Pendant ce temps là, les joueurs avaient débuté l'entraînement : Kevin présentait son spectacle de prestidigitateur : il ralentissait tous les objets qu'il touchait : ballons de rugby, combinaisons, phases de jeu... Impressionnant. Morgan, lui, avait opté pour la facilité : un one-man-show, intitulé : "Claquez-moi si vous pouvez", co-écrit avec Marc-Olivier Fogiel. A ne pas montrer à Bakkies Botha... Roro avait un numéro de claquettes très convainquant, Nathan devenait invisible, Jean-Marcellin, décidément très à l'aise, faisait de la retape à l'entrée d'un chapiteau sur lequel un panneau indiquait : "Unique au Monde - Merveilles et autres Curiosités de la Nature". Curieux, j'entrais. Jamie était "L'homme le plus fort du monde", David "L'homme le plus fragile du monde", Doming' exhibait ses tatouages, le Zen frappait les esprits par la taille de son appendice nasal, quant au Tube... bref, vous m'avez compris... En sortant du chapiteau, je m'attendrissais devant le numéro monté par Brock et Jubon : ils étaient mûrs pour "X Factor". C'était une sorte de son et lumière très complexe, avec un scénario extrêmement inventif, beaucoup d'humour et de rebondissements : on partait en voyage dans un monde fantastique, de beauté et de perfection, Julien incarnait un vieux maître des arts martiaux et Brock une sorte de bouddha mystique et omniscient. Pas très spectaculaire, mais vraiment très bien...
Et, partout dans le stade, des perroquets diaprés, des hommes-orchestres, des explosions suivies de fumées blanches, Julien Pierre en dresseur de tigres, Davit le briseur de chaines, des cochons volants, des otaries applaudissant et des démonstratrices de téléachat attifées en danseuses du Lido...
Poursuivant mon exploration, j'avisais, au centre du terrain, un Monsieur Loyal. Dressé sur un escabeau, il appâtait le chaland d'une voix forte, l'air impassible. Les gens lui jetaient des détritus, d'autres se moquaient de lui. En m'approchant, je reconnus M. Berdos :
- Approchez, Approchez, Mesdames et Messieurs ! Soyez les bienvenus dans le Plus Grand Cirque du Monde ! Venez voir les fauves : Gerhard Vosloo, Chris Masoe, Pascal Papé ! Venez voir les danseuses : Morgan Parra, Frédérick Michalak, Sébastien Chabal ! Venez voir les clowns : Mourado Rigolo, Pierre-Yvo Ravioli, l'Auguste Galthio ! Venez voir les magiciens : le Grand Maître Guy, Bernard l'Escamoteur, Alain l'Affleflou ! Venez voir des numéros à couper le souffle : le match du vendredi soir, la mêlée la plus refaite du monde, l'essai à zéro passe ! Des jongleurs, des acrobates, des bonimenteurs, des cracheurs de feu, des avaleurs de sabre, des contorsionnistes, des unijambistes, des sauvages venus des Antipodes et des femmes à barbe ! Tout ça, réuni, spécialement pour vous et en exclusivité, sous les micros, les flashes et les caméras ! Vous ne manquerez rien, et rien, c'est encore beaucoup ! Et, naturellement, j'aurai l'immense plaisir, honneur et privilège, de scander le spectacle de mes savoureuses interventions et de mes bons mots ! Approchez, Approchez, Mesdames et Messieurs ! Vous n'en reviendrez pas...
Je m'éloignais, à demi abruti par cette logorrhée.
Je me dirigeai vers le bureau de René, pensant qu'il était temps de mettre fin à la mascarade. Je frappai. Pas de réponse. Je frappai à nouveau, puis poussai la porte prudemment. Une atmosphère étrange m'accueillit. J'aperçus, dans une pénombre diaphane, dans une glace encadrée par des ampoules, le visage de René, grimé en clown triste. Il parfaisait le contour des ses lèvres au rouge à lèvres. Une fausse larme coulait de son œil droit. Il n'avait pas encore mis sa perruque et le contraste entre son crâne ridé et son visage rendu glabre et lisse par le maquillage lui donnait un aspect inquiétant. Il semblait une vision de la décadence. René, levant les yeux en biais, me lança à travers la glace un regard dont la tristesse était accentuée par son fard :
- Entre Vern, dit-il d'une voix faible mais posée.
- René, toi aussi ?
- Et oui, Vern. C'est ainsi... Ze chô meuste go ône. Toi aussi, tu y viendras. Les gens veulent du spectacle.
- Mais veulent-ils de ce spectacle ?
- Hélas, poursuivit-il en tripotant la légion d'honneur qu'il avait épinglée sur son justaucorps blanc, plus personne n'est près à accepter la déception de la médiocrité d'un mauvais match. Il faut que, chaque weekend, partout en France, tout soit réglé comme du papier à musique, qu'on relance du parking, qu'on passe après contact et qu'en plus, on plaque comme des robots. Même les Anciens, pourtant pas avares en matches immondes, lorsqu'ils n'étaient pas arrangés, y vont de leur complainte du "c'était mieux avant"... C'est sûr qu'en 67, tous les dimanches, à Mont de Marsan, c'était rugby champagne... Moi, j'ai bien essayé de leur dire que Sivivatu, Giteau ou Ouedraogo valaient bien Estève, Sella ou Benetton, j'ai essayé de leur dire que le sport, le jeu, ce sont de longues heures pénibles et ennuyeuses, pour quelques instants de grâce, qui, d'ailleurs, ne viennent parfois jamais... Mais bon, rien n'y a fait : ils sont intoxiqués, il leur en faut toujours plus, et toujours plus cher...
Il marqua un silence, soupira, enfila sa perruque, se leva, se retourna pour quitter la pièce et me dit en me croisant :
- Tu fermeras la porte en partant, Vern. Je dois te laisser, j'ai une interview sur Canal +. Si tu veux, il y a des nez rouges et des nœuds papillons farceurs dans le tiroir...
Et je le vis s'éloigner, clopin-clopant, chaussé de ses longues chaussures blanches et coiffé de son chapeau pointu...

3 commentaires:

  1. viens partager sur ton forum favori
    hakakiri
    http://www.hakakiri.net/

    RépondreSupprimer
  2. Et si on gardait que l'idée des Chippendales à la mi-temps ?

    RépondreSupprimer
  3. René en clown triste XD

    RépondreSupprimer