Ah ! Les vacances ! Enfin du temps ! Du temps pour penser à autre chose qu'au rugby. Du
temps à consacrer à sa famille, à soi, au rangement du garage, à
la coupe du gazon et du bois, à la clôture qui bée, au robinet qui
ferme mal, à la Harley qui tousse, au chien qui a des gaz, à sa
déclaration d'impôts, à ces douleurs récurrentes aux lombaires,
aux tuiles faîtières qui branlent, aux dissensions dans le
voisinage, à la situation économique du pays, aux enfants soldats
en Afrique, à l'apparition des narco-Etats, aux quarks et à
l'extension de l'univers, aux trous noirs et à la fin du monde, au
sens de la vie, à la …
Ah ! Les vacances !
Vraiment, un bon moment ! Un moment où l'on ne vient pas vous
rappeler à chaque instant que le doublé est impossible, que les
doublons sont possibles, que Brock n'a pas de double, que si on ne gagne rien cette année, on ne
gagnera jamais, que le Stade
Toulousain joue mal mais qu'il est tout de même devant nous au
classement, que ce n'était pas le Grand Leinster cette année...
Ah ! Les vacances !
Justement, je profitais de ces instants privilégiés en me promenant
tranquillement dans la campagne avec ma femme et le chien, l'esprit
vide de toute préoccupation extérieure.
- A quoi penses-tu mon
amour ?
- Pas à la préparation
physique des joueurs, en tout cas, Ah ça non ! Encore moins à
la prochaine séance vidéo, ni à la composition de l'équipe,
certainement pas !
Ma femme me regarda d'un
air réprobateur...
- Je suis désolé, c'est
plus fort que moi, je n'y arrive pas... Mais je vais faire des
efforts, je te le promets.
Nous nous blottîmes l'un
contre l'autre et continuâmes à marcher lentement.
- Qu'est-ce que tu fais
mon amour ?
- Rien, rien ! J'ai
un truc qui me démange dans la poche...
- Un truc qui s'appelle
un téléphone portable... Donne-le moi s'il te plaît.
A contre cœur, je lui
donnais mon téléphone, sur lequel j'avais téléchargé quelques
actions du dernier match pour les analyser...
Après une heure
interminable à profiter d'une balade en couple, des beautés de la
nature, de la solitude du promeneur, à faire des passes vrillées au
chien avec des pommes de pin, à déplacer avec le pied, à chaque
pause, très innocemment et sans avoir l'air d'y toucher, des petits
cailloux sur le sol pour simuler un lancement de jeu, ma femme finit
par abdiquer :
- C'est bon, Vern, on
rentre à la maison.
Le chien jappait
joyeusement en me tournant autour, réclamant sa pomme de pin.
L'espace d'un instant, j'ai cru que c'était Morgan qui me demandait
s'il pouvait jouer le prochain match.
Une fois à la maison, je
débouchais une petite bière hollandaise que j'avais appris à
apprécier avec le temps. Elle ne m'avait pas donné d'aigreur cette
année. Puis, je prenais un bon livre, au coin du feu, pour me
détendre : Le Rugby, Noble Jeu, par Paul Audinet (je
vous le conseille).
Ma femme finit par
s'asseoir à mes côtés, puis m'adressa un nouveau regard noir
lorsqu'elle vit l'objet de mon attention. Je protestais :
- Ça parle du rugby
amateur !
De guerre lasse, elle
prit un magasine sur la table basse : Rugby Attitude.
Elle le jeta loin derrière. Rugby Mag. Nouveau renvoi aux 22.
Rugby Info Clermont.
- Non ! Pas
celui-là ! Il y a un poster de Brock au plaquage à
l'intérieur ! C'est collector !
J'ai cru qu'elle allait
s'énerver. Elle reposa le magasine :
- Où sont mes Vanity
Fair et mes Vogue ? Et mon Voici ?
- Ah ! Pour les
ragots, tu as le MIDOL !
Elle soupira bruyamment
et s'empara de la télécommande. La télévision s'alluma sur ESPN
Classic, une rediffusion de la RWC 2011. Ma femme tendit le bras
pour changer de chaîne, appuyant frénétiquement sur le bouton.
Rien à faire, la télécommande était bloquée... Je fis mon plus
beau sourire gêné. Ma femme balança la télécommande sur le tas
de magazines et s'en fut dans la cuisine.
Après quelques minutes,
je ne tenais plus en place. Je pris mon manteau et mes clés de
voiture :
- Chérie, je vais
chercher du pain !
Elle n'eut pas le temps
d'objecter qu'il était trop tard et qu'on avait de toutes façons
déjà du pain, j'étais déjà en route vers le stade.
Il faisait nuit lorsque
j'arrivais. Les bureaux étaient déserts. Je me mis au travail.
J'eus soudain l'envie d'appeler Maître Guy. Il décrocha rapidement.
- Vern ? C'est toi ?
Comment se passent les vacances ?
- Euh ! Bien !
Bien ! La famille, la maison, tout ça... Et toi ?
- Pareil ! Pareil !
La maison, la famille...
Un silence. Guy lâcha le
premier :
- Je suis en salle
d'analyse vidéo. J'ai eu un doute sur une combinaison en touche
pendant un Albi – Montauban en 92... Il n'y a personne d'autre que
moi ici, mais je suis bien.
- Moi aussi. Je bosse mon
quart de finale. Je suis tout seul. Effectivement, c'est agréable de
travailler entre professionnels.
Nouveau silence. Je
demandais, un peu inquiet :
- Guy, tu ne crois pas
que j'en fais un peu trop ?
- Au contraire, Vern, au
contraire. Fais moi confiance, tu es sur la bonne voie !