lundi 4 février 2013

Ah ! Les vacances !

Ah ! Les vacances ! Enfin du temps ! Du temps pour penser à autre chose qu'au rugby. Du temps à consacrer à sa famille, à soi, au rangement du garage, à la coupe du gazon et du bois, à la clôture qui bée, au robinet qui ferme mal, à la Harley qui tousse, au chien qui a des gaz, à sa déclaration d'impôts, à ces douleurs récurrentes aux lombaires, aux tuiles faîtières qui branlent, aux dissensions dans le voisinage, à la situation économique du pays, aux enfants soldats en Afrique, à l'apparition des narco-Etats, aux quarks et à l'extension de l'univers, aux trous noirs et à la fin du monde, au sens de la vie, à la …
Ah ! Les vacances ! Vraiment, un bon moment ! Un moment où l'on ne vient pas vous rappeler à chaque instant que le doublé est impossible, que les doublons sont possibles, que Brock n'a pas de double, que si on ne gagne rien cette année, on ne gagnera jamais, que le Stade Toulousain joue mal mais qu'il est tout de même devant nous au classement, que ce n'était pas le Grand Leinster cette année...
Ah ! Les vacances ! Justement, je profitais de ces instants privilégiés en me promenant tranquillement dans la campagne avec ma femme et le chien, l'esprit vide de toute préoccupation extérieure.
- A quoi penses-tu mon amour ?
- Pas à la préparation physique des joueurs, en tout cas, Ah ça non ! Encore moins à la prochaine séance vidéo, ni à la composition de l'équipe, certainement pas !
Ma femme me regarda d'un air réprobateur...
- Je suis désolé, c'est plus fort que moi, je n'y arrive pas... Mais je vais faire des efforts, je te le promets.
Nous nous blottîmes l'un contre l'autre et continuâmes à marcher lentement.
- Qu'est-ce que tu fais mon amour ?
- Rien, rien ! J'ai un truc qui me démange dans la poche...
- Un truc qui s'appelle un téléphone portable... Donne-le moi s'il te plaît.
A contre cœur, je lui donnais mon téléphone, sur lequel j'avais téléchargé quelques actions du dernier match pour les analyser...
Après une heure interminable à profiter d'une balade en couple, des beautés de la nature, de la solitude du promeneur, à faire des passes vrillées au chien avec des pommes de pin, à déplacer avec le pied, à chaque pause, très innocemment et sans avoir l'air d'y toucher, des petits cailloux sur le sol pour simuler un lancement de jeu, ma femme finit par abdiquer :
- C'est bon, Vern, on rentre à la maison.
Le chien jappait joyeusement en me tournant autour, réclamant sa pomme de pin. L'espace d'un instant, j'ai cru que c'était Morgan qui me demandait s'il pouvait jouer le prochain match.
Une fois à la maison, je débouchais une petite bière hollandaise que j'avais appris à apprécier avec le temps. Elle ne m'avait pas donné d'aigreur cette année. Puis, je prenais un bon livre, au coin du feu, pour me détendre : Le Rugby, Noble Jeu, par Paul Audinet (je vous le conseille).
Ma femme finit par s'asseoir à mes côtés, puis m'adressa un nouveau regard noir lorsqu'elle vit l'objet de mon attention. Je protestais :
- Ça parle du rugby amateur !
De guerre lasse, elle prit un magasine sur la table basse : Rugby Attitude. Elle le jeta loin derrière. Rugby Mag. Nouveau renvoi aux 22. Rugby Info Clermont.
- Non ! Pas celui-là ! Il y a un poster de Brock au plaquage à l'intérieur ! C'est collector !
J'ai cru qu'elle allait s'énerver. Elle reposa le magasine :
- Où sont mes Vanity Fair et mes Vogue ? Et mon Voici ?
- Ah ! Pour les ragots, tu as le MIDOL !
Elle soupira bruyamment et s'empara de la télécommande. La télévision s'alluma sur ESPN Classic, une rediffusion de la RWC 2011. Ma femme tendit le bras pour changer de chaîne, appuyant frénétiquement sur le bouton. Rien à faire, la télécommande était bloquée... Je fis mon plus beau sourire gêné. Ma femme balança la télécommande sur le tas de magazines et s'en fut dans la cuisine.
Après quelques minutes, je ne tenais plus en place. Je pris mon manteau et mes clés de voiture :
- Chérie, je vais chercher du pain !
Elle n'eut pas le temps d'objecter qu'il était trop tard et qu'on avait de toutes façons déjà du pain, j'étais déjà en route vers le stade.
Il faisait nuit lorsque j'arrivais. Les bureaux étaient déserts. Je me mis au travail. J'eus soudain l'envie d'appeler Maître Guy. Il décrocha rapidement.
- Vern ? C'est toi ? Comment se passent les vacances ?
- Euh ! Bien ! Bien ! La famille, la maison, tout ça... Et toi ?
- Pareil ! Pareil ! La maison, la famille...
Un silence. Guy lâcha le premier :
- Je suis en salle d'analyse vidéo. J'ai eu un doute sur une combinaison en touche pendant un Albi – Montauban en 92... Il n'y a personne d'autre que moi ici, mais je suis bien.
- Moi aussi. Je bosse mon quart de finale. Je suis tout seul. Effectivement, c'est agréable de travailler entre professionnels.
Nouveau silence. Je demandais, un peu inquiet :
- Guy, tu ne crois pas que j'en fais un peu trop ?
- Au contraire, Vern, au contraire. Fais moi confiance, tu es sur la bonne voie !