mercredi 15 janvier 2014

Incertains

Il a déboulé comme un chiot turbulent dans notre jeu de quilles. Il a salué Franck, en disant :
- Salut Franck, pas trop stressé ? T'inquiète pour l'année prochaine : moi, je reste.
Il est passé devant Elvis et ses béquilles, en disant :
- Yo Elvis ! J'te passerai le 06 de mon orthopédiste... Oh ! Excuse, on a le même en fait ! Bon, ben non alors : doucement sur la rééduc. A ton âge, on ne sait jamais...
Il a branché Siti, en disant :
- J'ai appris pour Castres, c'est moche. Mais bon, je comprends que tu veuilles être le patron sur le terrain, et ici, y'en a un de nous deux qui est en trop, visage pâle !
Il est venu asticoter Thierry, en disant :
- Tu sais à quoi on reconnaît les grands joueurs ? Non évidemment. C'est pourtant simple : les grands joueurs, ils ne sont plus blessés pour les grands matches !
Il a poursuivi avec Rado, en disant :
- C'est bon, le Bleu. Tu peux arrêter de souiller ton short : je reprends les clés du camion.
Il s'est frotté à Jubon, en disant :
- Ho ! L'ancien ! Je comptais sur toi pour me défendre. Tant pis, je me débrouillerais tout seul, une fois de plus...
Il a avisé Roro, en disant :
- J'ai battu ton record de convalescence. Je m'en serais voulu de ne pas être là pour ta cinquantième cap européenne...
Il s'est approché de moi, mains dans les poches, yeux dans les yeux, en disant :
- Bon, coach. Je t'ai manqué, hein ? On la met au point cette stratégie ? J'ai l'articulation qui refroidit...

***

Fin de l'entraînement. Je traîne un peu dans le vestiaire. Plus personne... A moins que... J'entends un bruit, comme un sanglot réprimé. Je tends l'oreille. Il y a quelqu'un. Morgan est assis dans un recoin. Il ne m'a pas vu. Tête basse, il soliloque. Je me recule, curieux et intrigué. Qu'est-ce qu'il fabrique, ce... Mais oui, c'est ça ! Il parle à son genou !
- Tu vas pas me lâcher maintenant, hein ? Je veux que tu tiennes. Après, on verra. Tu peux hurler de douleur, tu peux me crucifier de souffrance, me torturer autant que tu voudras, mais je t'en supplie, tiens bon !
Je passe un œil. Je l'observe à la dérobée, qui grimace en contemplant son genou. Il relève la tête, regarde fixement le mur et poursuit :
- Putain, je vais pas y arriver, je vais pas y...
Il s'interrompt. Le ton de sa voix change. Je frissonne : on dirait Norman Bates dans Psycho...
- Si ! Tu vas y arriver ! Tu vas y arriver ! C'est pas comme si c'était la première fois. Tu as fait une finale de coupe du monde, tu vas pas baliser pour un pauv' match de poule dans un stade obsolète.
Il se lève. Se retourne. Ouvre son caisson. Je le vois qui farfouille, ouvre une enveloppe de laquelle il sort des morceaux de photo déchirée. Il commence à ré-assembler les morceaux sur la tablette du placard, hésite un moment, puis se ravise. Il lève la tête : je le vois, de profil, réprimer un rictus de tristesse. Il se reprend dans un soupir, brouille le puzzle et en remet les pièces dans l'enveloppe qu'il repousse au fond du placard.
Je me recule, pour rester hors de sa vue. Je tape dans la cloison, frotte mes pieds au sol et tousse. J'entends la porte du caisson qui se ferme, j'avance, j'apparais, il s'est retourné, il me voit. Il a l'air étonnamment calme et sûr de lui. Il fait :
- Ah ! C'est toi, coach ! Tu vas voir, on va bouffer du rosbif ce week-end !

1 commentaire:

  1. Marc Micro Cillon24 janvier 2014 à 00:40

    Belle liste de coups de gaz en première partie de billet !

    Content de voir que le king est malgré tout dans les rangs pour ce week end.

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